Ramatoulaye DIALLO1, 2, Moussa CISSE1, Dramane DIALLO2, Tenin Aminatou COULIBALY2, Seydou BAGAYOKO 1, Amadou KONE2, 3, Alhassane BA1, Abou DJEME1, Boubacar MAIGA2
1 : Centre National de Transfusion Sanguine, BP E-344 Bamako, Mali. 2 : Université des sciences techniques et technologies de Bamako, BP 1805 Bamako, Mali, 3 : Faculté des Sciences et Techniques (FST).
Le phénotype Rh DEL est un variant RhD positif, caractérisé par une extrême faiblesse de la quantité d’antigène D exprimé à la surface des hématies et le typage sérologique de routine seul n’est pas assez suffisant pour distinguer un vrai RhD négatif d’un phénotype Rh DEL. L’objectif est de déterminer la fréquence du phénotype Rh DEL chez les donneurs de sang.
Nous avons mené une étude transversale sur les donneurs de sang RhD négatifs au CNTS de Bamako dans la période de janvier à juin 2021. La méthode d’adsorption/élution a été utilisée pour la détermination du phénotype Rh DEL après une confirmation de la négativité du rhésus par la méthode sérologique. Les données ont été analysées avec le logiciel IBM® SPSS® version 22.
Sur 365 donneurs RhD sérologiquement négatifs inclus dans cette étude, le sexe masculin était majoritaire avec 90,4% parmi lesquels 6,8% étaient Rh DEL positifs et 83,6% RhD négatifs. La tranche d’âge [26-39] ans représentait 52,9 % dont 3,3% (12/365) Rh DEL positifs et 49,6% RhD négatifs, l’ethnie Bambara avait le plus grand nombre de donneurs 31,5%. La fréquence des groupes sanguins O était plus élevée avec 38,6% dont le Rh DEL 3%. Le phénotype Ccee ne représentait que 18,6% et comportait la majorité des donneurs Rh Del positifs soit 4,4%. Le Rh DEL représentait 7,1% (26/365).
Conclusion et perspectives : L’instauration de la technique d’adsorption élution dans nos pratiques de routine reste une alternative pour diminuer les risques d’alloimmunisation associés au Rh DEL. Cependant, les techniques de biologie moléculaire pourraient nous permettre de déterminer les différents polymorphismes qui sont à l’origine de la présence du Rh DEL dans cette population.
The Rh DEL phenotype is a positive RhD variant, characterized by an extremely low quantity of D antigen expressed on the surface of red blood cells and routine serology is often not sufficient to detect this pseudo negative. The goal is to determine the frequency of the Rh DEL phenotype in blood donors.
We conducted a cross-sectional study on RhD negative blood donors at the CNTS in Bamako from January to June 2021. The adsorption/elution method was used for the determination of the Rh DEL phenotype after confirmation of the rhesus negativity by the serological method. Data were analyzed with IBM® SPSS® version 22 software.
Among 365 RhD serologically negative donors included in this study, the majority were male with 90.4%, of which 6.8% were Rh DEL positive and 83.6% RhD negative. The age group [26-39] years represented 52.9% of which 3.3% (12/365) were Rh DEL positive and 49.6% RhD negative, the Bambara ethnic group had the largest number of donors 31.5%. The frequency of blood group O was higher with 38.6% of which Rh DEL 3%. The Ccee phenotype represented only 18.6% and comprised the majority of Rh DEL positive donors (4.4%). Rh DEL represented 7.1% (26/365).
Conclusion and perspectives: Introduction of the adsorption elution technique in our routine practices remains an alternative to reduce the risks of alloimmunization associated with Rh DEL. However, molecular biology techniques could allow us to determine the different polymorphisms that are at the origin of the presence of Rh DEL in this population.
Boubacar MAIGA, Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, Université des Sciences Techniques et Technologies de Bamako, Bamako, BP 1805
Téléphone : 0022396406565, Email : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Introduction
Parmi les 36 systèmes de groupes sanguins décrits à ce jour, le système rhésus (Rh) est l’un des plus importants et des plus complexes (1). Il possède cinq antigènes communs (D, C, E, c et e)(2). Les antigènes du système Rh sont codés par deux gènes homologues (3). Le gène Rh D et le gène Rh CE, tous deux situés sur le chromosome 1p34.3-p36.1 (4). Le haut degré d'homologie et l'orientation opposée des deux gènes favorisent la production de nombreux variants du rhésus(1). En général, les variantes Rh sont classées comme D faible, D partiel et DEL (5). Les antigènes D faibles et partiels peuvent être détecter par la méthode sérologique de routine(1), alors qu’avec le phénotype Rh DEL, l'expression D est si faible que les tests sérologiques de routine la confondent avec le RhD négatif(2). Seule la méthode d’adsorption élution permet de le détecter(2) d’où la dénomination de variant DEL pour D-elute. Les unités de sang offertes par ces donneurs présentent un risque certain pour les receveurs car l'antigène D est hautement immunogène et le développement des anti-D est associé à un risque accru de maladie hémolytique du fœtus ou du nouveau-né et de réactions hémolytiques post-transfusionnelles retardées(6).
Chez les Européens, environ 15 % des personnes sont des rhésus D négatif parmi lesquels l’incidence du phénotype Rh DEL varie de 0,18 % à 0,88 %(7). Tandis que chez les Asiatiques le groupe sanguin rhésus D négatif varie de 0,1 % à 0,5 %, parmi lesquels le phénotype Rh DEL varie de 10 % à 30 % notamment dans la population de l’Est asiatique comme la Chine, le Japon et la Corée (8).
Dans les pays d’Afrique noire, 5 à 9 % des personnes sont des Rh D négatif(9), la prévalence des variants de RhD faible a été décrite respectivement à 0,7%, 4,5% et 6,45% en Uganda(10), en Egypte(11) et au Ghana(12) mais il n’y a pas de données rapportées sur la fréquence du variant phénotype Rh DEL. Une autre étude au Maroc donne une prévalence du phénotype Rh DEL de 0,94%(13). Sauf indication unique, aucune donnée de la population malienne n'est disponible en ce qui concerne la fréquence du phénotype Rh DEL. Il serait donc important de combler ces lacunes d’où le but de cette étude.
Objectif général
Déterminer la fréquence du phénotype Rh DEL chez les donneurs de sang de rhésus négatifs au CNTS de Bamako par la technique d’adsorption-élution.
Objectifs spécifiques
Matériel et Méthodes
Les étapes suivantes ont été effectuées :
La confirmation du rhésus D négatif(14):
Cette méthode consistait à laver trois fois les hématies supposées être négatifs avec de l’eau physiologique et les mettre en suspension à 5% dans l’eau physiologique (50 µl d’hématie pour 950µl d’eau physiologique).
Mettre 200µl de cette suspension préparée dans un tube à hémolyse et ajouter 50µl d’anti-D puis agiter et la mettre en incubation dans un bain marie à 37°C pendant 45minutes à 1heure.
Après incubation, laver trois fois avec de l’eau physiologique, ajouter 50µl d’antiglobuline et centrifuger à 1000tours/min et faire la lecture à l’œil nu ou au microscope à l’objectif 10.
Le typage Rh CE (14):
Le typage RhCE consistait à rechercher des produits d’expression des gènes de groupes sanguins (antigènes) à la surface des hématies
Déposer 50µl d’hématies sur une plaque opaline dans 4 puits et ajouter 50µl d’anti-C sur la première goutte, 50µl d’anti-c sur la deuxième goutte, 50µl d’anti-E sur la troisième goutte, 50µl d’anti-e sur la dernière goutte.
Mélanger les gouttes avec le bout d’un tube en prenant soin de nettoyer le bout du tube après chaque mélange puis effectuer un mouvement de rotation à la plaque pendant 2 à 3 mn
Faire la lecture.
La Recherche du Rh DEL par adsorption-élution(13):
Cette technique consistait à :
-fixation de l’anticorps anti D à l’antigène D : en incubant 200 mL de globules rouges pendant 1 heure à 37°C avec 200 mL d’anticorps monoclonaux IgG anti-D.
-lavage : les hématies étaient ensuite lavées au moins six fois afin d’éliminer les débris et les anticorps n’ayant pas fixé l’antigène.
-élution : l’éluât était préparé par incubation à 56°C afin d’éclater les globules rouges et libérer le complexe anticorps antigène.
-test de Coombs indirect : les éluâts (ou surnageants du dernier lavage) ont été utilisés pour le test de Coombs indirect contre les hématies lavées RhD positifs (hématies tests) et RhD négatifs (hématies contrôles). C’est une technique d’agglutination sur colonne qui consistait à mettre 25 mL d’éluât et 50 mL de 1 % des hématies du lavées dans la carte LISS/Coombs, puis l’incuber à 37°C pendant 15 minutes, centrifugé à 1030 tours/minute pendant 10 minutes, et lire l’agglutination.
Un témoin positif (Rh1) et un témoin négatif (Rh-1) ont été testés en parallèle de l’échantillon des donneurs.
Cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la faculté de médecine de pharmacie et d’odontostomatologie du Mali, avec le numéro d’approbation N° 2021/58/CE/USTTB et tous les participants ont signés leur consentement libre et éclairés.
Les données ont été récoltées dans un registre et saisies sur Microsoft Excel. L'ensemble des analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel IBM® SPSS®. La prévalence était estimée avec un intervalle de confiance de 95%. Une relation potentielle entre les caractéristiques et le phénotype DEL a été estimé avec le test Chi2 de Pearson.
Résultats
Un total de 365 donneurs de sang RhD négatifs du Centre National de Transfusion sanguine de Bamako, ont été recrutés dans cette étude. Le sexe masculin était majoritaire sur l’ensemble des échantillons 90,4% (330/365) parmi lesquels 6,8% (25/365) étaient Rh DEL positifs et 83,6% (305/365) RhD négatifs (tableau I). La tranche d’âge 26 à 39 ans prédominait (293/365 ; 52,9%) dont 3,3% (12/365) Rh DEL positifs et 49,6% (181/365) RhD négatifs (tableau II) et les Bambaras étaient majoritaires dans notre population avec 31,5% (115/365) parmi lesquels 1,9% (7/365) étaient des Rh DEL positifs (tableau III). En termes de groupage ABO, le groupe sanguin O était le groupe sanguin ABO le plus courant chez l’ensemble des donneurs 38,6% (141/365), le Rh DEL de 3% (11/365) suivi du groupe sanguin B 30,4% (111/365), le Rh DEL 2,5% (9/365) ; du groupe sanguin A 25,8% (94/365), Rh DEL 1,1% (4/365) et le groupe sanguin AB 5,2 % (19/365) Rh DEL 0,5% (2/365) (tableau IV).
Afin de déterminer les relations entre le phénotype Rh DEL et les autres antigènes Rh, le phénotypage pour les antigènes Rh C, c, E et e ont été réalisés chez 365 donneurs de sang. Le phénotype Ccee était majoritaire chez les donneurs présentant le phénotype Rh DEL (4,4% ; 16/365) tandis que le phénotype ccee était le plus représenté sur l’ensemble des dons (291/365 ; 79,7%) (tableau V).
Le statut antigénique de RhD a été déterminé par des techniques sérologiques (technique d’agglutination immédiate sur plaque, technique de globuline antihumaine indirecte et technique d'adsorption-élution), la majorité des donneurs de sang Rh négatif ont été confirmées comme RhD négatif (339/365 ; 92,9%). Cependant, 7,1% (26/365) des donneurs de sang Rh négatif ont été détectés comme phénotype Rh DEL (tableau VI).
Discussion
La détection sérologique des phénotypes Rh DEL a été réalisée chez 365 donneurs de sang Rh négatifs du Centre National de Transfusion Sanguine de Bamako. La prévalence du Rh DEL était de 7,1 % dans la population étudiée. Ce résultat est comparable à l’étude menée au Ghana sur les variants du RhD avec une prévalence de 6,45% et légèrement supérieur aux résultats obtenus en Egypte 4,1% qui pourrait être expliqué par une taille inférieure de l’échantillon. Il est également supérieur à celui de la population du Maroc et de l’Uganda qui ont respectivement 0,94% et 0,7% (13)(10). Par ailleurs il est nettement inférieur à celui de la population de Chine qui est à 24,85% (15), ce qui peut être due à une différence des techniques utilisées car ils ont utilisé des techniques de biologie moléculaire.
Le don masculin dominait sur l’ensemble des dons avec 90,4%. Comme les études antérieures effectuées au Mali (16), le sexe masculin est toujours majoritaire. Les donneurs Rh DEL étaient essentiellement de sexe masculin à l’image de la population générale des donneurs de sang. Cette prédominance des hommes pourrait s’expliquer par la participation effective des hommes au don de sang.
La tranche d’âge 26-39ans prédominait (293/365 ; 52,9%) dans l’ensemble des échantillons ainsi que chez les donneurs Rh DEL. Ce résultat est similaire aux études antérieures, (16) les jeunes sont les cibles lors des campagnes de sensibilisations au don de sang.
Les Bambaras avaient le plus grand nombre de donneurs de sang. Cette présence massive de l’ethnie bambara aux dons de sang pourrait être due à leur présence majoritaire à Bamako.
Le groupe sanguin O était le plus rencontré chez l’ensemble des donneurs avec 38,6% suivi du groupe sanguin B 30,4%, du groupe A 25,8% et du groupe AB 5,2 %. Ce résultat est comparable aux résultats obtenus à Yangon, Myanmar(2).
Sur l’ensemble des donneurs de notre série, 3 phénotypes ont été individualisés : ccee, ccEe et Ccee. Le plus fréquemment rencontré est ccee, ce qui est concordant avec l’étude de Baby M(16) qui place le phénotype ccee parmi les phénotypes les plus courant chez les donneurs de sang de Bamako. Cependant, le Rh C+ (Ccee) représentait plus de la moitié des donneurs type DEL 4,4% (16/365) soit 61,53% (16/26). Les études au Maroc, en Chine et en Taiwan ont tous évoqués une forte association entre le phénotype Rh DEL et le phénotype C+(13,17,18). Le phénotype ccee représentait 38,47% (10/26) des Rh DEL, cela a été aussi observé chez des individus Rh DEL dans des populations allemandes et autrichiennes (19,20).
Le CNTS de Bamako est une structure de référence en matière de transfusion au Mali, le fait de disposer de sang compatible et sécurisé au niveau immunologique fait partie de ses principaux objectifs. Les donneurs de sang de rhésus négatifs ne sont pas nombreux par rapport aux rhésus positifs, il fallait étendre la période de collecte des données sur 6 mois afin d’avoir le nombre d’échantillons. De ce fait il fallait s’assurer que les donneurs volontaires régulier ne soit pas inclus 2 fois dans l’étude, cela a permis d’éliminer beaucoup de donneurs qui étaient déjà inclus dans l’étude. Comme toutes techniques, l’adsorption/élution à ses limites, afin d’éviter un DEL faussement négatif, le dernier lavage (DEL) et l’éluât devraient avoir le même volume, si l’éluât est de 1mL, le dernier lavage doit être réalisé avec 1mL de solution. Si le dernier lavage est réalisé avec 4mL de solution, le DEL pourrait être diluée par rapport à un éluât de 1mL. Ainsi un mauvais lavage pourrait donner un DEL faussement négatif.
Conclusion
En conclusion, 7,1 % des donneurs apparemment Rh-négatifs se sont révélés être Rh-DEL dans notre population étudiée. La majorité des donneurs Rh Del étaient positifs pour l'antigène C. Pour une transfusion sanguine, le typage Rh DEL doit être effectué chez tous les donneurs RhD négatifs. Afin d'éviter l'allo-immunisation RhD chez les receveurs de sang, cette étude recommande que les donneurs présentant un phénotype Rh DEL soient pris en charge comme faisant partie du groupe de donneurs RhD positifs. D'autres études sont nécessaires pour déterminer le statut d'allo-immunisation des patients RhD négatifs qui ont reçu des transfusions Rh DEL. Il serait essentiel d'élucider les allèles les plus fréquemment rencontrés pour les phénotypes RhD négatif, Rh DEL dans une population comme la nôtre. Ce faisant, la détection de la RhD négatif par une technique moléculaire multiplexée pourrait améliorer la sécurité transfusionnelle.
Conflits d’intérêts
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.
Contributions des auteurs
Ramatoulaye DIALLO chercheur principal, responsable de l’étude, présente le protocole au comité scientifique et technique et au comité d’éthique, organise la collecte des échantillons, les analyses au laboratoire, la gestion des résultats et la rédaction de l’article.
Moussa CISSE et Amadou KONE chercheurs associés, aident à la rédaction de l’article.
Alhassane BA directeur général du Centre National de Transfusion Sanguine de Bamako.
Boubacar MAIGA directeur de recherche supervise et coordonne le projet scientifique.
Financement : Cette recherche a été financée sur budget d’état d’exercice 2021 du centre national de transfusion sanguine