M. DIALLO1, P. PAQUIS2, F. ALMAIRAC2, M. LONJON2, D. FONTAIN2, S. LITRICO2, D. RASENDRARIJAO2.
1: Service de Neurochirurgie CHU Gabriel TOURE, BP 267 Bamako/Mali. 2: Service de Neurochirurgie bat G, CHU Pasteur 30, voie Romaine- CS 51069, 06001 Nice /France.
De nos jours la prescription des anti-vitamines K (AVK) est courante dans la pratique médicale. Ceci est dû en partie au vieillissement de la population et l’augmentation de la fréquence des pathologies cardiovasculaires. Mais l’utilisation des AVK n’est pas sans conséquence. Il peut s’agir entre autre d’hémorragie consécutive à un surdosage. L’hématome sous dural (HSD) est une complication rarement décrit sous traitement AVK. Les auteurs rapportent un cas d’hématome sous dural survenu chez un patient sous anticoagulant. Le diagnostic a été posé par la neuroradiologie dont l’avènement a révolutionné l’approche thérapeutique. En dépit de ces progrès le pronostic vital de l’HSD aigu reste sombre avec une mortalité globale élevée. Les survivants peuvent garder des séquelles neurologique et/ou psychologique importants.
The prescription of anti-vitamins K (AVK) is a common practice these days. This is partly due to the aging of the population and the increase in the frequency of cardiovascular pathologies. But the use of AVK is not without consequence. This may include bleeding due to overdosage. The sub-dural hematoma (HSD) is a complication rarely described under AVK treatment. The authors report a case of subdural hematoma in a patient under anticoagulant. The diagnosis was made by neuroradiology, the advent of which revolutionized the therapeutic approach.. Despite these advances the vital prognosis of acute HSD remains dark with high overall mortality. Survivors may have significant neurological and / or psychological sequelae.
Dr Moussa DIALLO, Tel : (+223)99 87 87 03. Email : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Introduction :
La prescription d’anti-vitamine K est fréquente chez les personnes âgées du fait fréquence élevée des maladies cardiovasculaires. L’incidence de cette affection est variable. Elle était de 315,9/100000 par an en Tanzanie [1] et se situait entre 15% et 32,4% en Afrique centrale chez des personnes âgées de 65 ans et plus [2]. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait à 17.3 millions le nombre de décès lié aux MCV dans le monde et ce chiffre devrait atteindre 23.6 millions en 2030 [3].
L’utilisation des anti-vitamines K (AVK) dans la prévention des complications liées à un déficit en protéine S est rarement rapportée dans la littérature.
Si les hémorragies intracérébrales (HIC) sont fréquentes sous traitement d’anti-vitamine K (AVK) par voie orale, la survenue d’un hématome sous dural (HSD) est un événement rarement décrit au cours d’un surdosage en AVK. [4]. Le taux de mortalité lié à l’HSD aigu est variable selon l’étiologie avec une moyenne de 37% [4]. Pour le sous dural aigu spontané, la létalité se situe entre 50 – 60% [5]. Ici nous rapportons un cas d’hématome sous dural aigue chez un patient sous AVK compliquant un hématome sous dural chronique pour son intérêt épidémiologique, diagnostique et thérapeutique.
Observation :
Monsieur KP, âgé de 72 ans, a été admis le 11 Aout 2012 en neurochirurgie pour un ralentissement psychomoteur secondaire à une chute de sa hauteur survenue le 09 Aout 2012. Dans ses antécédents, nous notons une chirurgie pour prothèse de la hanche gauche réalisée il y a 13 mois, une sclérose en plaque, une arythmie cardiaque et un déficit en protéine S pour lequel il était sous SINTROM® 4 mg depuis 2 mois à la dose de 2 comprimés deux fois par jour. Il n’avait pas de notion de tabagisme ni d’hypertension artérielle. L’examen clinique à son admission trouvait un score de Glasgow à 14, une désorientation temporelle, un ralentissement psychomoteur, pas de déficit moteur, les réflexes ostéo-tendineux émoussés et symétrique, le signe de Babinski à droite.
Le bilan biologique montrait : un TP à 76%, un INR à 4, un taux d’hémoglobine à 13.6g/dL, les plaquettes à 171 000/mm3 et les globules blancs à 6 109/l. Le reste de l’examen était sans particularité. Le scanner cérébral réalisé en urgence avait mis en évidence une collection péri cérébrale pan hémisphérique gauche, iso dense, faisant évoquée un hématome sous dural subaigu (image 1).
Une antagonisation de l’anticoagulation à l’AVK fut débuté avec une héparinothérapie (HBPM) à l’Enoxaparine à la dose de 80 mg deux fois par jour en relai au traitement anticoagulant (AVK) pendant deux jours; associé au Kaskadil® 25 UI /kg/j et à la vitamine K1 à la dose 10 mg deux fois par jours. L’intervention chirurgicale pour une évacuation drainage de l’hématome par la tréphine sous anesthésie locale a été réalisée le 13 Août 2012. L’évolution postopératoire fut marquée au premier jour par une bonne récupération de la conscience avec un score de Glasgow à 15, une absence de déficit neurologique. Le drainage en siphonage avait ramené 380 ml de liquide séro-sanguinolent. Quarante-huit heures plus tard, le patient avait présenté un trouble de l’état de la vigilance d’installation progressive, associé à une désorientation temporo-spatiale, un ralentissement idéomoteur, et un déficit moteur à type d’hémiparésie droite côté à 3/5. A l’examen, le score de Glasgow était à 13. Le scanner cérébral de contrôle réalisé dans ce contexte mettra en évidence une volumineuse collection sous dural pariétale gauche, très compressif sur le parenchyme cérébral correspond à un hématome sous dural aigue par re-saignement (image 2-3).
Une seconde intervention chirurgicale est alors décidée en urgence pour une évacuation de l’hématome sous dural aigu par un volet de craniectomie. Quarante-huit heures après cette deuxième chirurgie, le patient recouvrait un bon état de conscient avec score de Glasgow à 15 et une régression totale de son déficit neurologique. Au sixième jour après la seconde chirurgie le patient est transféré en maison de convalescence sous Enoxaparine 80 mg deux fois par jour. L’ablation totale des points de suture (agrafes de Michel) fut réalisée au dixième jour de la 2ème opération. Les suites étaient simples. Une demande de consultation cardiologique et hématologique pour le suivi respectif de l’arythmie cardiaque et un déficit en protéine S avait été faite à sa sortie.
Commentaires :
L’hématome sous-dural chronique (HSDC) est une pathologie connue depuis les années 1857 après la première description par Virchow [6]. La forme subaiguë survient le plus souvent dans un contexte post traumatique du crâne chez le sujet âgé [7]. Dans la majorité des cas, la notion de traumatisme crânien est méconnu dû au fait qu’il passe inaperçu (traumatisme minime). Dans cette observation, la survenue d’une chute de sa hauteur pourrait être responsable de la survenue de l’hématome sous dural subaigu. L’atrophie cérébrale responsable du décollement du parenchyme cérébral de la paroi avec une mise sous tension des vaisseaux cortico-sous duraux, fragiliserait ces derniers. A la faveur d’un traumatisme crânien, même minime, une rupture de ces vaisseaux pourrait facilement survenir. Le délai d’apparition des signes cliniques et leur gravité pourraient fonction de l’état du cerveau et le débit du vaisseau rompu.
La sémiologie est d’autant plus bruyante et rapidement évolutive que le patient est jeune [7]. L’atrophie cérébrale liée à l’âge, favoriserait à la survenue et la constitution d’hématomes de volume important mais longtemps tolérés cliniquement.
De ce fait, l’âge apparait clairement comme un facteur de risque de survenue d’un hématome sous dural. Devant l’installation progressive de trouble neurologique chez notre patient, une tomodensitométrie avait été demandée. Cet examen réalisé sans injection de produit de contraste dans un contexte traumatique est le « Gold standard » avec une sensibilité de plus de 90 % [8]. Il nous a permis de poser rapidement le diagnostic et d’organiser une prise en charge adéquate. Une évacuation à travers un trou à la tréphie était la technique choisie sous anesthésie locale à la NAROPEINE® 5mg/ml. Cette technique moins invasive est la mieux adaptée en termes de visibilité et d’évacuation et de bon rinçage de la cavité d’hématome. Elle permet en outre de mieux contrôler le geste de mise en place du drain pour ne pas provoquer une plaie du cortex cérébral.
Malgré l’arrêt du traitement AVK 48 heures avant l’acte opératoire et l’instauration d’une anticoagulation par HBPM, une complication majeur à type d’hémorragie aigue et massive est survenue. Celle-ci était responsable d’une altération rapide et brusque du tableau clinique du patient. Cette situation pourrait-être due à l’inefficacité du schéma thérapeutique institué. De même de par la fragilité capillaire, le sujet âgé apparait comme un sujet vulnérable sur le plan vasculaire. Ce qui doit nécessiter une prudence dans la prescription des anticoagulants chez ces patients. Mais l’augmentation des cardiopathies dans ce groupe de patients, pourrait expliquer l’augmentation de la prescription d’AVK dans les pays occidentaux [9]. Le traitement par les AVK peut être responsable de complications majeures parmi lesquelles les hémorragies intracérébrales. La survenue d’un hématome sous dural chez un patient en surdosage d’AVK est rarement décrit. Ainsi, un patient sous AVK a un risque annuel de survenue d’hémorragie intracrânienne de 1 % [10]. Après 70 ans comme c’est le cas chez notre patient, ce risque serait majoré de 1,7% [11]. Les complications liées au traitement par AVK seraient dues au fait que le malade passe plus de temps en dehors de la fourchette d’INR désirée.
Devant les cas d’hématome extradural ou de sous dural aigu chez un patient surdosé en AVK comme dans notre observation, si une indication chirurgicale en extrême urgence est de mise ; l’utilisation du PPSB (Prothrombine, Proconvertine, facteur Stuart et le facteur antihémophilique B) est recommandée à la posologie de 1 UI/kg de facteur IX pour une diminution moyenne de 0.15 d’INR (ou une augmentation de 1.5 % du TP) [12]. La perfusion de plasma viro-atténué ne doit s’envisager que si le traitement par le PPSB n’est pas disponible ou si l’apport d’un volume liquidien est souhaitable (choc hémorragique) [12]. D’après certains auteurs, les mécanismes impliqués dans l’augmentation du risque d’hématomes intracrâniens liée aux AVK ne sont pas établis de nos jours [10]. Aucune étude n’a encore pu mettre en évidence des lésions vasculaires ou des altérations de la paroi vasculaire impliquant directement les AVK [10]. Contrairement aux idées reçues, il est important de savoir que le traitement anticoagulant ou antiagrégant ne fragiliserait nullement pas les parois vasculaires.
Au cours du traitement par AVK, les microhémorragies pourraient être responsables d’un saignement macroscopique évolutif. Celle-ci serait donc en grande partie sous la dépendance du niveau de l’hypercoagulation au moment du saignement [13]. La particularité évolutive serait à l’évidence la persistance du saignement plusieurs heures après le début de l’hémorragie, ce qui engendre une morbidité élevée [14]. La reprise chirurgicale chez notre patient avait consisté à l’évacuation de cet hématome aigu par la réalisation d’un volet de craniectomie. Ce qui a permis une récupération rapide et la sortie précoce de l’hôpital. Cette technique opératoire s’applique dans les cas de récidive d’hématomes sous duraux chroniques avec défaut de ré-expansion dû à la présence de membrane. Dans la grande majorité des cas, le bon pronostic des hématomes sous duraux chroniques contraste avec le mauvais pronostic des sous duraux aigus. Dans tous les cas la prise en charge est une urgence chirurgicale.
Conclusion :
Tout trouble neurologique allant d’une parésie même hémifaciale à une dégradation de l’état de vigilance chez un sujet âgé doit être pris avec le plus grand sérieux surtout si cette personne est sous traitement anticoagulant. Après un diagnostic orienté par la tomodensitométrie, le protocole d’antagonisation devra se faire au plus tôt selon un schéma bien codifié qu’il y ait indication chirurgicale ou non. Le Pronostic est fonction de l’âge du patient, de la précocité et de l’efficacité du traitement.
1- Walker, R. et al., 2010. Incidence des accidents vasculaires cérébraux dans la Tanzanie rurale et urbaine: une étude prospective et communautaire. The Lancet. Neurology, 9(8), p.786 792.
2- Guerchet, M. et al., 2012. Epidemiology of peripheral artery disease in elder general population of two cities of Central Africa: Bangui and Brazzaville. European Journal of Vascular and Endovascular Surgery, 44(2), p.164 169
3- Mathers C, Ties BoermaT, Fat DM. Organisation mondiale de la Santé: Le fardeau mondial de la maladie: Mise à jour 2004. 2008, Genève. Catalogage à la source de la bibliothèque de l'OMS. http://www.who.int/healthinfo/global_burden_disease/2004_report_update/en/. Consulté le 28/06/2012.
4- Ramorasata J A Ch, Miandrisoa R M, Ratovondrainy W, Rakotonanahary O, Raveloson N E, Rabearivony N: Hématome sous dural aigu par surdosage d’anti-vitamine K: rapport d’un cas Rev. anesth.-réanim. med. urgence 2011; 3(2): 21-24.
5- Kuffer J., Muller A, Vuadens P : L’hématome sous dural aigu non traumatique. Forum méd Suisse 2006 ; 16(37) :774-776
6- Fogelholm R, Waltimo O. Epidemiology of chronic subdural haematoma. Acta Neurochir 1975;32:247-50.
7- Guénot M.Hématomes sous-duraux chroniques : de la clinique au traitement, La Lettre du Neurologue mars 2003 : n° 3 - vol. VII -.89-92
8- Hirsh J. Oral anticoagulant drugs. N Engl J Med 1991; 324 (26): 1865-75.
9- Hanley JP. Warfarin reversal. J ClinPathol 2004; 57(11): 1132-9.
10- Fang MC, Chang Y, Hylek EM, Rosand J, Greenberg SM, Go AS, et al. Fang MC, Chang Y, Hylek EM, Rosand J, Greenberg SM, Go AS, et al Âge avancé, intensité anticoagulante et risque d'hémorragie intracrânienne chez les patients prenant de la warfarine pour fibrillation auriculaire. Ann Intern Med 2004; 141 (10): 745-52.
11- Guénot M. Hématome sous-dural chronique : données de l’imagerie. Neurochirurgie 2001 ; 47 (5) : 473-8
12- Ramorasata J A Ch, Miandrisoa R M, Ratovondrainy W, Rakotonanahary O, Raveloson N E, Rabearivony N : Hématome sous dural aigu par surdosage d’anti-vitamine K: rapport d’un cas, Rev. anesth.-réanim. med. urgence 2011; 3(2): 21-24.
13- Benjamin T. Accident vasculaire cérébral hémorragique sous AVK, Neuro-réa, P 173 Mise Au Point en Anesthésie Réanimation( MAPAR) 2006
14- Broderick JP, Brott TG, Duldner JE, Tomsick T, Huster G. Volume of intracerebral hemorrhage. A powerful and easy to use predictor of 30 days mortality.Stroke 1993;24 (7): 987-93