Wendkuni Myriam Nikiema Minoungou1, Jérôme Koulidiati 1,2, Salam Sawadogo 2, Koumpingnin Nébie2, Cathérine Traore3, Fabienne Sanou4, Aminata Ouattara 5, Delphine Kabore1, Eléonore Kafando2
1Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouedraogo, Ouagadougou, Burkina Faso, 2: Laboratoire d’hématologie, Université Joseph KI - ZERBO, Ouagadougou, Burkina Faso, 3: Institut Supérieur des Sciences de la Santé, Université NAZI BONI, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, 4: Centre Hospitalier Universitaire Bogodogo, Ouagadougou, Burkina Faso, 5: Centre Hospitalier Régional de Ziniare, Burkina Faso.
L’objectif général de notre étude était de déterminer la fréquence des troubles de l’hémostase en milieu hospitalier afin d’en dégager des suggestions et des perspectives.
Il s’est agi d’une étude transversale descriptive qui s’est déroulée du 1er Octobre au 30 Novembre 2020 dans le service du laboratoire d’hématologie du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo. Elle a consisté à analyser les bulletins d’examen contenant une demande de tests d’hémostase en préopératoire, à réaliser ces tests et à analyser les résultats obtenus grâce au logiciel Excel.
Au cours de la période, nous avons inclus 382 patients dont 192 femmes (50,3%). L’âge moyen était de 32 ans avec des extrêmes de 0 et 81 ans. Les patients provenaient majoritairement (26,2%) du service de la maternité. La fréquence globale des anomalies de l’hémostase était de 23%. Une thrombopénie était présente dans 24 cas (11%). Le taux de prothrombine était bas dans 9 cas soit 2,4%. Le Temps de Céphaline Activé ou le ration TCA malade / TCA témoin était anormal dans 71 cas soit 18,6%. Le TCA était isolément allongé dans 61 cas, soit 16%.
Conclusion : Notre étude révèle une fréquence assez élevée des anomalies de l’hémostase en milieu hospitalier. Ces troubles de l’hémostase devraient conduire à d’autres tests plus spécifiques selon un guide élaboré de façon consensuelle par tous les acteurs de la prise en charge des maladies de la coagulation.
The general objective of our study was to determine the frequency of hemostasis disorders in hospital environment in order to draw suggestions and perspectives.
This is a descriptive cross-sectional study which took place from 1st October to 30th November 2020 in the Hematology Department of the Yalgado Ouédraogo University Hospital. It consisted of analyzing the examination bulletins containing a request for preoperative hemostasis tests, carrying out these tests and analyzing the results obtained using Excel software.
During this period, we included 382 patients, 192 of whom are women (50.3%). The mean age was 32 years, with extremes of 0 and 81 years. The majority of patients (26.2%) came from the maternity ward. The overall frequency of hemostatic abnormalities was 23%. Thrombocytopenia was present in 24 cases (11%). The prothrombin level was low in 9 cases (2.4%). The activated Partial Thromboplastin Time (aPTT) or the patient aPTT/control aPTT ratio was abnormal in 71 cases (18.6%). There was isolated prolonged aPTT in 61 cases (16%).
Conclusion: Our study reveals a relatively high frequency of hemostatic abnormalities in a hospital environment. These hemostasis disorders should lead to other more specific tests according to a guide developed by consensus by all those involved in the management of coagulation diseases.
Wendkuni Myriam Minoungou épouse Nikièma, Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouedraogo, Ouagadougou, Burkina Faso, 09 BP 195 Ouagadougou 09, Burkina Faso, Téléphone : (+226) 70 18 23 43 / 79 42 99 24, E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Introduction
L'hémostase physiologique est un système biologique complexe, où procoagulants et anticoagulants interagissent pour préserver la fluidité du sang lorsque celle-ci et les vaisseaux sont intacts ou pour déclencher la formation de caillot empêchant ainsi un saignement excessif lorsque les vaisseaux sanguins sont lésés [1]. Elle fait intervenir trois étapes :
Le saignement et la thrombose sont les manifestations d’une altération de l’équilibre hémostatique. Le temps de prothrombine (TP) et le temps de céphaline activée (TCA) sont les tests les plus fréquemment utilisés pour l'évaluation de routine de la coagulation plasmatique. Le TP révèle les déficits des facteurs de la voie extrinsèque de la coagulation et la voie finale commune, alors que le TCA est sensible aux défauts des facteurs de la voie intrinsèque de la coagulation et la voie commune. Ils permettent la détection des déficits en facteurs de coagulation [3,4]. L’exploration de la coagulation sanguine s’inscrit dans le cadre du dépistage d’anomalies exposant au risque de saignement ou de thrombose, du suivi d’un traitement anti thrombotique (héparine, antagonistes de la vitamine K) ou de l’évaluation du retentissement d’une pathologie (hépatopathies, maladies auto-immunes, etc.) [5].
Le dépistage des pathologies hémostatiques est basé d’une part, sur l’interrogatoire minutieux du patient à la recherche de manifestations hémorragiques ou thrombotique permettant d’établir l’histoire de la maladie et d’autre part sur le bilan d’hémostase de routine facilement réalisable au Burkina Faso. Ensuite l’application de règles d’interprétation selon des protocoles standardisés au moyen de tests plus spécifiques devrait conduire à l’identification de l’anomalie responsable. Ces tests spécifiques sont cependant moins pratiqués en Afrique sub-saharienne [6]. Au Burkina Faso, la poursuite du diagnostic étiologique des troubles de l’hémostase n’est pas réalisée ; en effet le plateau technique pour le diagnostic des maladies hémorragiques et thrombotiques est insuffisant. En outre peu d’études se sont penchées sur les anomalies de l’hémostase d’où la justification de cette étude afin de déterminer la fréquence des troubles de l’hémostase en milieu hospitalier afin d’en dégager des suggestions et des perspectives pour une meilleure prise en charge du patient.
Patients et méthodes
L’étude s’est déroulée au laboratoire d’hématologie du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouedraogo. Il s’agissait d’une étude prospective descriptive qui s’est déroulée du 1er Octobre au 30 Novembre 2020. L’étude a porté sur l’ensemble des échantillons des patients reçus au laboratoire d’hématologie pour bilan d’hémostase préopératoire et dont le bulletin de demande d’analyse mentionnait le nom, le sexe, l’âge, le service demandeur, ainsi que les examens suivants : hémogramme (numération formule sanguine ou NFS), taux de prothrombine (TP), et temps de céphaline activée (TCA). Ces données ont constitué les variables de l’étude. Les échantillons dont le rapport sang/anticoagulant n’était pas respecté, les échantillons coagulés, et ceux non identifiés n’ont pas été inclus. Les prélèvements ont été effectués soit au service des laboratoires soit dans les services cliniques d’hospitalisation. Les patients étaient à jeûn en dehors des urgences.
Le prélèvement sanguin s’est fait par ponction veineuse à l’aide d’un corps vacutainer quand il s’agissait d’un prélèvement effectué au laboratoire ou à l’aide d’une seringue en matière plastique quand le prélèvement était réalisé dans les services cliniques. Le sang a été recueilli dans un tube contenant du citrate de sodium à 3,2% en respectant le rapport neuf volumes de sang pour un volume d’anticoagulant pour les examens de TP, TCA et dans un tube EDTA pour l’hémogramme. Après le prélèvement, les échantillons ont été centrifugés à 3000 tours/min pendant 10 minutes à 37°C pour obtenir un plasma pauvre en plaquettes. Les délais d’acheminement et de traitement des échantillons étaient inférieurs à quatre heures. Le TP et le TCA ont été réalisés avec les automates de coagulation CA- 600TM (Symex) pour la plupart des échantillons et quelque fois en cas d’indisponibilité de ce dernier avec le semi-automate START MAXTM (Stago). La numération plaquettaire a été effectuée grâce à l’automate PENTRA DX NEXUSTM (Horiba). Le TCA témoin utilisé pour le START MAXTM (Stago) et le CA-600TM (Symex) était respectivement de 30,2 et 25 secondes. Nous avons considéré comme anomalies de l’hémostase un TP < 70%, un TCA > 35,2 et 30 secondes respectivement pour le START MAXTM (Stago) et le CA-600TM (Sysmex), un Ratio TCA malade /TCA témoin (TCAm/TCAt) >1,2 et une numération plaquettaire ˂150G/L. Tous les résultats de TP supérieurs à 100% ont été ramenés par défaut à 100%. Le test mélange était effectué chaque fois que le ratio TCAm/TCAt était > 1,5. Il consistait à refaire le TCA sur un mélange équivolumique d’un plasma normal et du plasma du patient. Les fausses thrombopénies étaient écartées par la réalisation d’un frottis sanguin à la recherche d’amas plaquettaires. La validation biologique était réalisée par un médecin biologiste. L’anonymat des fiches de collecte et des résultats a été préservé. Les données ont été saisies et analysées à l’aide du logiciel Excel.
Résultats
Notre étude a porté sur 382 échantillons analysés au laboratoire d’hématologie du CHUYO dont 192 soit 50,3% provenaient de sujets féminins. L’âge moyen des patients était de 32 ans avec des extrêmes de 0 et 81 ans. La tranche d’âge la plus représentée était celle de 16-30 ans avec 123 patients soit 32,2%. Les patients provenaient du service de la maternité dans 26,2% des cas, du service de la neurochirurgie (15,4%) et du service des urgences traumatologiques avec (14,1%), (Tableau I). Les valeurs moyennes du TP, TCA, Ratio TCAm/TCAt, plaquettes étaient respectivement de 96,8± 8,6%, 26,4 ± 4,4 secondes, 1,1 ± 0,2, 279,2 ± 124,4 G/L (Tableau II). Au total 88 sur 382 patients ont présenté des troubles de l’hémostase soit une fréquence globale des anomalies de l’hémostase de 23%. Plusieurs anomalies étaient notées dans 301 cas soit une fréquence des anomalies multiples de 78,8%. Le TCA isolément allongé représentait la plus grande part des anomalies dans 61 cas soit 16% (tableau III). Parmi les cas de TCA allongés, 14 (23%) ont fait l’objet d’un test de mélange ce qui a permis une correction du TCA dans 6 cas (9,8%).
Discussion
Le but de notre recherche était d’étudier la fréquence des anomalies de l’hémostase en milieu hospitalier. Notre étude comportait quelques limites :
La légère prédominance féminine dans notre étude s’explique par le fait que le service de la maternité était le plus grand prescripteur du bilan d’hémostase en préopératoire. Ce service est beaucoup fréquenté par les jeunes femmes en âge de procréer. En effet, l’âge moyen était de 32 ans. Rakotoarivelo et al. à Madagascar [7] retrouvaient également une moyenne d’âge relativement jeune de 26 ans. Cette moyenne d’âge est aussi la plus exposée aux accidents de la voie publique nécessitant très souvent une intervention chirurgicale, ce qui explique le classement des services de neurochirurgie et des urgences traumatologiques respectivement en 2ème et 3ème position.
La fréquence globale des anomalies de l’hémostase était de 23% dans notre étude. Cette fréquence était inférieure à celui de Rakotoarivelo et al. à Madagascar [7] qui retrouvait une fréquence des troubles de la coagulation en préopératoire de 36,4%. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que ces derniers ont pris en compte d’autres paramètres de l’hémostase comme la thrombocytose, le fibrinogène et le temps de thrombine dans leur étude. Le TP et le TCA sont deux tests qui n'explorent qu'une petite partie de l'hémostase et certaines anomalies de l'hémostase pourtant associées à un risque hémorragique, ne perturbent ni le TP ni le TCA. C'est le cas du déficit en facteur XIII, mais aussi d'une grande partie des maladies de Willebrand et des thrombopathies. A l'inverse, des résultats anormaux ne correspondent pas systématiquement à une anomalie de l’hémostase à risque hémorragique, en effet le déséquilibre hémostatique peut se manifester aussi par des thromboses [8, 9]. Dans notre étude le TCA isolément allongé a fait l’objet d’une correction dans 14 cas (22,95%) ; ce faible taux s’explique par le fait que le laboratoire d’hématologie du CHUYO étant le plus grand centre du pays en termes de fréquentation, avait retenu temporairement un seuil de correction du rapport TCAm /TCAt à 1,50 afin de pouvoir satisfaire aux besoins du moment. Parmi eux, 6 (9,83%) ont vu leur TCA corrigé et dans 8 cas (13,11%) le TCA était toujours allongé.
Ce seuil constitue un biais à notre étude du fait qu’elle occulte tous les allongements de TCA dont le ratio était compris entre 1,3 et 1,5. L’interprétation du résultat du test mélange permet de dégager des pistes étiologiques. En effet un TCA prolongé avec un TP normal suggère la possibilité d’une déficience en facteurs VIII, IX, XI, XII, en kininogène de haut poids moléculaire, en prékallicréine ou la présence d’un inhibiteur. En cas de TCA prolongé, il est recommandé de refaire le test avec un mélange composé de parts égales de plasma normal et de plasma du patient. Si le TCA du mélange corrige plus de 50 % de la différence entre le temps de coagulation du plasma du patient et le plasma normal, il faut suspecter une déficience en facteur(s) dans le plasma du patient. Une correction plus faible suggère la présence d’un inhibiteur dirigé contre l’un des facteurs de la voie intrinsèque ou d’un inhibiteur de type non spécifique comme l’anticoagulant de type lupique ou les anticorps anti-phospholipides [10]. Le diagnostic des pathologies hémorragiques (hémophilie A et B, maladie de Willebrand, thrombopathies) et thrombotiques (syndrome des antiphospholipides) doit passer par la réalisation de tests suffisamment sensibles et spécifiques [11]. Le choix et la performance des tests doivent suivre des directives ce qui n’est pas le cas chez nous et dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Ces tests sont entre autres : la recherche des anticoagulants de type lupique et des autres antiphospholipides (anticardiolipines, anticorps antib2GPI), le temps de venin de vipère Russell dilué (Diluted Russel Viper Venom Time, DRVVT), le dosage des facteurs et inhibiteurs antihémophiliques, le dosage du facteur de Willebrand, l’exploration des thrombopathies [12].
La fréquence non négligeable dans notre contexte des anomalies de l’hémostase permet de dégager des perspectives et des suggestions à savoir :
Conclusion
Notre étude a permis de souligner une fréquence assez élevée des anomalies de l’hémostase. Ces troubles de l’hémostase devraient conduire à d’autres tests plus spécifiques selon un guide élaboré de façon consensuelle par tous les acteurs de la prise en charge des maladies de la coagulation.
Additif :
Conflit d’intérêt : Il n’y a aucun conflit d’intérêt de la part des auteurs à déclarer.
Financement : Aucune source de financement extérieur.
1- Société française d’hématologie, éditeur. Hématologie. 3e éd. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2018. 380 p.
2- De Revel T, Doghmi K. Physiologie de l’hémostase. EMC - Dentisterie. Févr 2004 ;1(1) :71‑81.
3- Lippi G, Favaloro EJ. Laboratory hemostasis: from biology to the bench. Clin Chem Lab Med. Juin 2018;56(7):1035‑45.
4- Winter WE, Flax SD, Harris NS. Coagulation Testing in the Core Laboratory. Lab. Med. Nov 2017 ;48(4) :295‑313.
5- Fristma MG, Fristma GA. Normal hemostasis and coagulation. In: EM Keohnae, LJ Smith, JM Walenga. Rodak’s Hematology. St. Louis, MI: Elsevier; 2016: 642-666.
6- Devreese, K. M. J., Groot, P. G., Laat, B., Erkan, D., Favaloro, E. J., Mackie, I. Guidance from the Scientific and Standardization Committee for lupus anticoagulant/antiphospholipid antibodies of the International Society on Thrombosis and Haemostasis. Journal of Thrombosis and Haemostasis, 2020;18(11),
7- Rakotoarivelo Z, Tsiriniaina R, Tchesterico D, Rakotovao AL, Tahirimalala R, Rakoto Alson O, et al. Place du bilan d’hémostase en préopératoire: Étude des pratiques de l’hôpital universitaire JRA Antananarivo Madagascar. International Journal of Advanced Research. Janv 2023; 11:472
8- Alzahrani A, Othman N, Bin T, Elfaraidi, Mussaed E, Alabas F et al. Routine preoperative coagulation tests in children undergoing elective surgery or invasive procedures: Are they still necessary? Clin Med Insights Blood disord. 2019; 12:1-4.
9- Chee YL, Crawford JC, Watson HG, Greaves M. Guidelines on the assessment of bleeding risk prior to surgery or invasive procedures. British Committee for Standards in Haematology. Br J Haematol. 2008; 140:496-504.
10- Hrachovinová I. Diagnostic strategies in disorders of hemostasis. Vnitr Lek. 2018;64(5):537‑44.
11- Sciascia S, Cuadrado MJ, Khamashta M, Roccatello D. (2014). Renal involvement in antiphospholipid syndrome. Nature Reviews Nephrology, 10(5), 279–289.
12- Sucker C, Zotz RB. Hemostasis Assessment and Evaluation. In : Marcucci CE, Schoettker P, éditeurs. Perioperative Hemostasis. Springer Berlin Heidelberg ; 2015. p. 65‑70.